dimanche 30 octobre 2011

Guy DELEURY : Les Fêtes de Dieu (la foi, l’histoire, les mythes)

(
Ed. du Félin, 1994 ) 


Voici, en "texte condensé" (bâti avec les phrases de l'auteur), l'essentiel de cet ouvrage assez volumineux (300 pages), qui analyse avec rigueur et une grande érudition l'origine des fêtes chrétiennes.-->

Docteur en philosophie, Guy Deleury a été membre de la Cie de Jésus de 1943 à 1973, faisant à ce titre de nombreux séjours en Inde. Il a publié, entre autres : Renaître en Inde (1976), Le Modèle indou (1978).  Trois chercheurs ont nourri sa réflexion : Mircea Eliade, Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss.

INTRODUCTION (résumé)

«Dieu» est un mot «payen» (paysan) tout comme son correspondant grec «theos». A l’est du domaine indo-européen, les peuples de l’Inde honoraient des «Déva » et «Dévi» de même racine. Les Anglo-Germains conservèrent le mot non moins «payen» de «Gott». Les Juifs d’avant Moïse avaient leurs Elohim et leurs Baals qui devinrent le El ou le Yahvé du Sinaï, puis le Allah de Mohammed.
Les mots nous protègent de l’oubli, si nous savons les lire en profondeur. Entreprenons de relire les signes qui ont été tracés pour nous sur nos collines, nos rivières, nos villes. Quelques penseurs ont appris à l’auteur à redire «Dieu» en meilleure connaissance de cause.
Le premier, M.Eliade, offre dans son Traité d’histoire des religions une morphologie des mythes qui amène à considérer les mythologies comme Jung aborde l’inconscient collectif: l’un et l’autre ont usiné des clefs pour comprendre le réel occulté par la conscience ou par l’histoire. Eliade cherche, à travers des peuples divers, à atteindre l’homme.
G.Dumézil, avec Ouranos-Varuna, apprend à relire notre passé latin en le restituant dans son contexte indo-européen. L’auteur de Mythe et épopée, en prouvant que les premiers rois de Rome et les héros indous du Mahabarata ne sont que des dieux déguisés en hommes, ne fait que valoriser leur importance. Le rôle des mythes est «d’exprimer l’idéologie dont vit la société, (…) de maintenir son être et sa structure mêmes».
Les Tristes Tropiques et la Pensée sauvage de C. Lévi-Strauss mènent l’homme des métropoles à s’apercevoir qu’en négligeant ses mythes il a perdu une partie de son âme. «La matrice d’intelligibilité fournie par le mythe permet d’articuler (les interrogations que les hommes se posent) en un tout cohérent».
Ces «aventuriers de l’esprit», en déchiffrant les mythes de peuples archaïques ou lointains, permettent à l’homme d’aujourd’hui de déchiffrer cette part occultée de son être dont la connaissance lui fait défaut pour construire son avenir. Ils ont en commun d’être allés recevoir un déclic loin de leur vieille Europe, comme si la relation à l’autre nous était indispensable pour nous voir tels que nous sommes.
La majorité des autorités religieuses de l’Eglise catholique est demeurée insensible à cette découverte majeure. Le mythe est encore pour elle, comme au temps de Renan, une preuve que sa doctrine n’est établie que sur des fables, sans fondements historiques. Or de grands penseurs sont aujourd’hui persuadés qu’histoire et mythe se confortent mutuellement quand ils remplissent leur fonction propre. Tout se gâte quand l’historien met «à la place de l’histoire réelle et concrète des grandes lois de développement» (Lévi-Strauss) qui n’existent que dans sa pensée, ou quand le mythologue tente d’historiciser les personnages ou les événements que les mythes mettent en scène.
Il importe de se libérer de son histoire, de l’histoire avec ses prétendus déterminismes, en la faisant vaciller sous le souffle créateur du mythe. La fonction du mythe est de débloquer les impasses de l’histoire et d’ouvrir notre foi au souffle du futur.
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Ch. I : Epiphanie
Ch. II : Chandeleur
Ch. III : Pâques
Ch. IV : Michel Archange
Ch. V : Pentecôte
Ch. VI : Pierre et Paul
Ch. VII : Toussaint
Ch. VIII : Noël
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I. L’EPIPHANIE : la Fête de la Rencontre avec l’Autre (pp. 21 à 50)

Ainsi parla Zarathoustra

Comme tout mythe, celui des Rois mages n’a ni auteur connu ni origine claire. Il émerge ici et là, dans la nuit des temps.
En Afghanistan, les Zoroasthriens appellent «Mont du Victorieux» une colline où devait se produire l’annonce de la naissance de l’enfant victorieux, le Saoshyant; Adam avant de mourir y aurait caché dans une caverne de l’or, de l’encens et de la myrrhe destinés à lui être offerts. Zarathoustra (Iran, 6e s. avt J.C.) avait écrit dans l’Avesta que trois vierges concevraient de mille ans en mille ans trois rois dont le dernier serait le Sauveur du monde. La venue de ces vierges serait annoncée par une étoile brillante comme un soleil.
L’extraordinaire diffusion de ce mythe véhiculé par les rois Mages est exemplaire de la dynamique d’un mythe. Mais il prit en terre chrétienne une signification nouvelle. La prédication des Apôtres s’adressait à des communautés fort diverses, et les convertis des églises créées en Perse reconnurent en Jésus le Saoshyan et firent venir les Mages à Bethléem; quant aux églises palestiniennes et hellénistiques, elles accueillirent ce renfort d’un passé autre que le leur qui permettait de donner au Christ une stature universelle.

Si le mythe reçut du Proche-Orient un enrichissement considérable, l’extraordinaire, c’est sa diffusion en Occident autour des 9e et 10e s. La date de la Nativité avait été en 354, à Rome, reportée du 6 janvier au 25 décembre, et le 6 janvier demeura la date de l’Epiphanie. La mise en scène de l’arrivée des Mages lors de la messe devint un véritable petit drame liturgique, dont plusieurs textes ont été conservés. La translation de leurs reliques (12e s.) et l’Historia Trium Regum (14e s.) marquent leur consécration. Ce mythe exprime une conviction des Eglises d’Occident à la fin du Moyen Age: la vocation universelle du christianisme. Les trois régions représentées (Melchior: la Nubie et l’Ethiopie, Balthazar: la Tartarie, Gaspard: la Perse et l’Inde) constituaient une unité culturelle de l’autre côté de l’espace conquis par les musulmans. Dans l’imaginaire chrétien, les Mages représentaient l’espoir que les deux partis de la chrétienté séparés par le croissant musulman s’uniraient un jour pour le détruire.


De l’or, de l’encens, de la myrrhe

Les récits innombrables de leur pérégrination contiennent ces trois invariants: les Mages observent dans le ciel une étoile attendue, ils savent qu’elle annonce la naissance d’un enfant destiné à devenir le Roi du monde, ils se mettent en route pour lui apporter trois présents, lesquels semblent commander le sens du mythe. "Par ces trois présents on doit entendre en Jésus Christ divine majesté, puissance royale et humaine mortalité: l’encens appartient à sacrifice, or à tribut, myrrhe à la sépulture des morts." (Historia Trium Regum)
Un vassal devait se présenter à son suzerain avec une pièce d’or symbolisant son allégeance.
L’encens était chez les Juifs associé au culte divin et les chrétiens interprétèrent celui qu’offent les Mages à l’enfant de Bethléem comme une reconnaissance de son origine divine.
La fumée de l’encens était considérée comme purificatrice; on peut voir dans cet élément du mythe la nécessaire purification du moi lors d’une pérégrination intérieure.
La logique du mythe situe l’interprétation de la myrrhe, utilisée pour l’embaumement, à un autre niveau. La myrrhe des saintes femmes, qui trouvent vide le tombeau de Jésus, s’avère inutile. Si bien qu’elle signifierait non pas la mortalité, mais la mort et la résurrection – autrement dit la renaissance.
Selon la mythologie phénicienne, la princesse Myrrha mit au monde un fils, Adonis, dont s’éprit d’abord Vénus et ensuite, au royaume des morts, Proserpine (Perséphone). Il fut décidé qu’Adonis passerait quatre mois avec Vénus, quatre avec Proserpine et quatre avec sa mère. Et voilà les trois saisons du climat proche-oriental. La myrrhe renvoie ainsi aux mythpes de mort et de renaissance: Adonis renaît sans cesse selon les pulsions de vie et de mort que le soleil impose aux germinations obscures. Certains commentateurs donnent d’ailleurs aux Mages des âges différents: un adolescent, un homme mûr, un vieillard – chacun voyant le bébé sous les traits d’une personne ayant son âge propre.
L’encens qui se consume, l’or qui coule du creuset, renvoient au feu, élément purificateur; pour l’alchimiste, la transmutation du plomb en or signifie le passage de l’impur au pur.
Dans la mythologie indoue, le cosmos se présente au tout début comme un œuf d’or; l’or renvoie ainsi à la création du monde et dans la mythologie judéo-chrétienne au Créateur.

(6 pages sont consacrées au personnage de Balaam, dont une prophétie permit aux auteurs de l’"Histoire des Trois Rois" de rattacher leur voyage à la tradition biblique et non plus à celle de Zarathoustra: trop de détails sont nécessaires à la compréhension pour en faire le résumé)


La galette des Rois

La galette dorée partagée en famille actualise le mythe par un symbole assez clair: elle représente le disque du soleil. Pour bien des peuples, l’or est la chair du soleil, et le soleil est roi. La galette est aussi l’étoile des Mages: à la voûte céleste, les étoiles sont des disques minuscules et les Chaldéens savaient déjà que le soleil n’est qu’une étoile.

Les historiens et les liturgistes s’accordent pour reconnaître que la fête de l’Epiphanie le 6 janvier fut d’abord instituée en Egypte au 3e s. C’est là que les chrétiens, pour la première fois, célébrèrent la Nativité du Christ. Un siècle plus tard, l’Eglise romaine transféra au 25 décembre cette fête qui en changeant de date changea de signification : le 6 janvier, on célébra la manifestation (« Epiphanie ») du Christ, non sa naissance.

L’immense tradition de l’Egypte pharaonique s’exprimait là: le soleil n’était pas un dieu parmi d’autres mais la manifestation de la Lumière incréée; quel que fût son nom (Amon-Râ, Osiris, Horus), cette lumière inscrivait journellement et annuellement dans le ciel le mouvement de mort et de résurrection qui assure l’ordre éternel du cosmos. Le 6 janvier, qui était le premier de l’an égyptien, on célébrait la renaissance du soleil après sa mort solsticiale, en même temps que l’intronisation du pharaon vu comme le fils du Dieu.
Les premiers chrétiens égyptiens continuèrent de célébrer cette fête, trouvant naturel de se mêler aux liturgies qui avaient contribué depuis des siècles à approfondir l’expérience religieuse qui, justement, les prépara à leur conversion: «c’est chez les Coptes, non en Palestine, que le christianisme primitif a été reçu comme sans résistance, voire comme répondant à une attente profonde», remarque E.Drewermann.
On peut penser que l’épisode principal commémoré était le baptême de Jésus, rapporté par Marc, l’évangéliste que les coptes revendiquent comme leur fondateur. La première communauté chrétienne égyptienne a pu imaginer la filiation divine du Christ comme une transmutation opérée par un rituel de mort et de résurrection: de même que le pharaon était transmué en fils du Soleil, de même Jésus par son baptême recevait sa nature divine.
Si le baptême est devenu le rituel initiatique des chrétiens, c’est qu’il impliquait une transmutation à travers la mort du même type que celle qu’on célébrait à la fin de la période solsticiale. «Par le baptême nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort afin que (…) nous vivions dans une vie nouvelle», écrit saint Paul (Rom.VI). Les rituels de transmutation ontologique sont connus par nombre de traditions religieuses.

Un autre épisode commémoré était celui des noces de Cana, dont le récit se termine par «telle fut la première des épiphanies de Jésus». Or que demande sa mère à Jésus, sinon une opération divine de transmutation ? La symbolique mythique de l’eau et du vin éclaire la scène: l’eau est symbole de purification, et de fertilité, de renaissance – le vin symbole d’ivresse, d’extase, d’immortalité. Avec l’eau, l’homme reçoit de la nature sa subsistance; avec le vin il se donne un outil de dépassement de la nature. Par ailleurs, le pmotif évangélique du repas de noce évoque le royaume messianique: «il en va du royaume des cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils» (Mt, XXII).

Il n’est pas improbable que la forme solaire de la galette des Rois descende du disque rayonnant qui domine tant de scènes gravées sur les tombes ou dans les temples égyptiens. Dans l’ouvrage de Jung L’Homme et ses symboles figure la reproduction du trône de Toutankhamon où le disque solaire projette ses mains vivifiantes sur le pharaon et son épouse.
Vue sous cet angle mythologique, l’humble galette nous fait replonger dans près de quatre millénaires de notre histoire.
Une interprétation historicisante de la visite des Mages la rend inintelligible, alors qu’elle s’éclaire par une lecture mythique. L’incarnation de Dieu dans la chair d’un petit d’homme accomplit les espérances de tous les peuples, de Zarathoustra à Balaam. La renaissance cyclique du soleil prête à l’espérance humaine un fondement cosmique.
Le mythe fait resurgir en nous ce désir de noces éternelles qui nous pousse à transmuter l’eau de nos conditionnements historiques en vin d’une convivialité universelle.

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II. La CHANDELEUR : la Fête de la Vierge de Lumière (pp. 53-87)

Les premières communautés chrétiennes étaient composées de Juifs qui revendiquaient leur héritage. C’est sans doute la raison de l’épisode de la présentation de l’enfant au Temple, raconté par Luc seul, juif hellénisé pour qui il était important d’insister sur le comportement juif de la Ste Famille et de montrer que Jésus accomplissait l’attente messianique des juifs. Cet épisode embarrassa les théologiens puisque ce rituel impliquait la purification de la mère ; or selon leurs spéculations, Marie, n’ayant pas perdu sa virginité en enfantant, n’était pas soumise à une telle législation.
La mère devait offrir un couple de tourterelles ou de jeunes colombes, pour racheter son enfant à Yahvé. Un des oiseaux était sacrifié sur l’autel, l’autre offert au prêtre. L’idée que les dieux se nourrissent des bêtes qu’on leur fume sur des bûchers est commune à de nombreux peuples: le feu est le transmetteur naturel des plats humains que la fumée hisse jusqu’à eux.
Luc prend soin de situer l’épisode de la purification dans le contexte de l’attente messianique en y faisant intervenir Shimon et la vieille prophétesse Anne.
Dans l’église de Jérusalem, la fête s’appela d’abord celle du quarantième jour; les Egyptiens la nommèrent la Présentation, les Arméniens la Venue, les Grecs la Rencontre. Mais tous la célébraient le 14 février, quarante jours après l’épiphanie considérée dans l’Orient chrétien comme la fête de l’Incarnation du Christ. Au VIe siècle elle fut adoptée par l’Eglise de Rome; mais comme celle-ci célébrait la Nativité le 25 décembre, la fête fut observée le 2 février et reçut un nouveau nom, celui de la Purification de Marie.
Ce changement de nom et de date exprime un glissement mythologique considérable. Ce n’est plus l’enfant qui est au centre du mythe mais sa mère. Le bon peuple appela désormais la fête la Chandeleur (latin Candelarum) puisque le rite le plus visible était la procession des cierges allumés. On a souvent soutenu que cette procession avait été instituée dans l’Eglise romaine pour s’y substituer à un rituel païen populaire, les Lupercales. La Légende dorée (Jacques de Voragine, 13e s.) semble accréditer cette opinion: «aux calendes de février, en l’honneur de Februa, mère de Mars, dieu de la guerre, les Romains illuminaient la ville avec des cierges, afin que Mars leur accordât la victoire»; cette cérémonie lustrale était destinée à purifier le peuple dans l’ensemble de ses transgressions. Il y aurait donc eu glissement de l’idée de purification communielle à celle de la purification de la Vierge. Cette explication pourrait satisfaire nos esprits cartésiens si la Légende dorée n’ajoutait aussitôt deux autres hypothèses: «en février, les Romains offraient des sacrifices à Feburius, c.-à.-d. Pluton, et aux autres dieux infernaux, pour les âmes de leurs ancêtres ; toute la nuit ils tenaient des cierges allumés.» Or à l’origine l’année romaine n’avait que dix mois dont le premier s’appelait mars. Puis Numa ou Tarquin y ajoutèrent deux mois: janvier, d’après Janus, et février d’après Februo, dieu des morts, réputé maléfique car il avait un nombre pair de jours (28). Ce nouveau calendrier dura jusqu’à Jules César qui le réforma en s’inspirant des nouvelles observations des astronomes égyptiens. L’année commençant au 1er janvier et non plus au 1er mars, février perdit son caractère maléfique de dernier mois, et le premier février fut considéré comme fête des Lumières. D’où une troisième hypothèse: «Le pape Innocent III dit que les femmes romaines célébraient en ce jour la fête des lumières, dont l’origine est tirée des fables des poètes. Ceux-ci rapportent que Proserpine était si belle que Pluton, dieu des enfers, l’enleva et en fit une déesse. Ses parents (sa mère surtout, Déméter – Cérès) la cherchèrent dans les bois et les forêts avec des torches et des flambeaux, c’est ce souvenir que rappelaient les femmes de Rome. Or, parce qu’il est difficile d’abandonner une coutume, les chrétiens nouvellement convertis ne savaient s’y résoudre ; alors le pape Sergius lui donna un but meilleur, en ordonnant aux chrétiens de célébrer chaque année à pareil jour une fête en l’honneur de la mère du Seigneur, avec cierges allumés et chandelles bénites». Jacques de Voragine se révèle plus fin psychologue ès matières mythiques que les modernes détracteurs qui accusent le christianisme d’avoir adopté les coutumes des pays pour mieux les convertir. Ce sont les païens une fois convertis qui ont su persuader les autorités ecclésiastiques de leur permettre de conserver leurs anciens usages et même de les adopter. Le rôle du peuple chrétien dans le développement de la mythologie chrétienne explique ses infinies variations d’une région à l’autre. Adoptée par la chrétienté occidentale, la fête de la Rencontre ou de la Présentation a revêtu une signification nouvelle: une fête de la lumière célébrant la maternité virginale de la Vierge. On pense que c’est la plus ancienne des fêtes mariales de l’Occident chrétien. Les historiens ont fait remarquer que la fête du 2 février n’apparaît dans la pratique qu’à partir du VIIe s. A cette époque le souvenir des pratiques romaines devait être oublié et le problème de la christianisation d’une fête latine ne se posait plus. Par contre les populations de l’Europe celtique apportaient avec leur conversion un univers mythique différent de celui que véhiculaient les convertisseurs venus de Rome ou de l’Orient. Le transfert tardif du 14 février au 2 du même mois dans les chrétientés occidentales, entraîné par la fixation à Rome de la date de Noël au 25 décembre (plutôt qu’au 6 janvier, cf. notes sur Noël) semble avoir provoqué une rencontre de cultures qui se révéla créatrice.

L’apport de la communauté celtique

En Irlande, où les peuples sont passés des traditions celtiques au christianisme sans l’intermédiaire d’une période romanisée, on célèbre la nuit du 1er février la fête de Ste Brigitte. Or c’était autour du 1er février qu’on célébrait en Irlande une des quatre fêtes saisonnières rythmant l’année liturgique celte. Son nom irlandais était Imbolc, «mot sans doute formé de imb-folc: cela indique une purification que l’on pourrait comparer à l’usage romain des Februa». Brigitte serait le nom local de la principale déesse «mère des Celtes» que les Bretons appellent Ana, et les Gaulois Belisama, entre autres noms. Selon R.Graves, «au Moyen Age, dans la poésie irlandaise, Marie était identifiée à Brigitte». Et le transfert de la fête du 14 au 2 février dans le domaine italo-celtique chrétien apparaît comme tout autre chose que le déplacement d’un calcul de quarante jours dû à la fixation de Noël au 25 décembre. La Vierge Marie devient l’héroïne principale parce qu’elle assume dans la conscience populaire toutes les fonctions de l’antique Ana ou Brigitte. L’homophonie entre Ana, déesse-mère gauloise, et Anne la prophétesse, ou cette autre Anne que les évangiles apocryphes identifiaient comme la mère de Marie, a peut-être contribué à faciliter ce glissement mythologique.
On aimerait en savoir davantage sur cette déesse-mère des peuples bretons ou gaulois; malheureusement les documents sont trop rares. (…) La Bretagne a conservé vivante la mémoire de sa mère, ou plutôt de son aïeule. Chaque année, le pardon de Ste Anne La Palud attire la Bretagne croyante. On est loin du folklore : cette procession, ces lumières dans la nuit, c’est la joie bimillénaire d’un peuple qui n’a jamais renié sa mère parce qu’elle ne lui a jamais refusé sa protection, même quand d’Ana elle devint Anne.


(L’auteur consacre plusieurs pages - pp.71-79 - aux romans arthuriens, où prend place la figure de Mélusine, nom français de Bélisama, fille d’un dieu celtique, divinité «lumineuse» qu’on pourrait qualifier de solaire si on sait que «soleil» en celtique était féminin. Mélusine veut sans doute dire «Mère Lumière»).
Une certaine lecture de la légende arthurienne permet de mieux comprendre l’inconscient collectif de la société française du XIIe au XIVe siècle. Un inconscient où tout se joue entre de preux chevaliers et de gentes demoiselles. L’importance de ces dernières est prépondérante. Les pucelles tiennent dans le roman arthurien la place des déesses dans la mythologie celtique. Le roi Arthur, entouré de fées, était chrétien et c’est ce qui rend son entourage féerique fascinant, un chrétien du XIIe ou du XIIIe s. (La Historia Regum Britanniae: 1135, le Perceval de Chrétien de Troyes; 1181, l’Historia Trium Regum: 1364-1375, la Légende dorée: 1264, le Roman de la Rose: 1236). C’était l’époque où se constitua, dans un bouillonnement de créativité, la mythologie chrétienne qui s’enfonça dans l’inconscient collectif des Français. L’époque où les pèlerins qui cheminaient vers St Martin de Tours, vers St Michel-au-péril-de-la-mer, vers St Jacques de Compostelle, reconnaissaient au passage sur l’espace des royaumes de France et de Navarre les traces innombrables de la présence de la Reine des Lumières.
«Y a-t-il eu de multiples déesses-mères, justifiant le pluriel latin matronae, comme le pluriel fatae pour les fées? N’y a-t-il pas eu au contraire un type unique ? En vérité, Madame Marie succède à la Fée. On a révéré dans les siècles passés de nombreuses saintes, Reine, Némoise avec sa patte d’oie, Radegonde épouse maltraitée, et Marthe et Marguerite et Madeleine; néanmoins c’est de plus en plus la seule image de Marie qui s’impose» (H.Dontenville, Les Dits et récits de la mythologie française). Toutes ces Dames convergent en une unique Notre-Dame de France.

Némoise est une sainte vénérée dans les pays de Loire, appelée aussi Néomadie. Sa «biographie» est la même que celle de Reine d’Alésia et de Marguerite d’Antioche: pour échapper aux avances d’Olibrius, un sénateur romain, elle appelle au secours la Vierge Marie, et sur-le-champ sa jambe se transforme en patte d’oie, éteignant la concupiscence de l’agresseur. On a retrouvé un peu partout en Gaule le nom d’une déesse, Némétona, dont le nom la situe dans le domaine du sacré: Nemet signifie le bois sacré, ou le lieu sacré, la clairière dans la forêt. On pourrait traduire Némétona par la «Dame du lieu sacré».
Dans certaines versions de la légende, Némoise, dans sa joie, planta en terre sa quenouille de bergère et une source en jaillit ; on venait baigner les bestiaux dans la fontaine et on leur en faisait boire l’eau.
Sa patte d’oie trahit son illustre origine : Berthe, la sœur de Charlemagne, était affligée du même caractère, dont elle tenait son titre de reine pédauque. Cette pédauquerie ne serait-elle pas le vestige christianisé d’anciennes Mél
usines, mi-femme mi-oiseau aquatique?
La relation de Némétona avec les sources et les fontaines est attestée en de nombreux endroits. La fontaine avait des vertus de transmutation et de renaissance, et la petite bergère Némoise ne fait que reproduire à son niveau paysan la fonction que Némétona remplissait vis-à-vis des nobles chevaliers.
En se faisant chrétienne, cette vertu fut attribuée à la virginité de la pucelle qui symbolisait la pureté absolue. Or la fête de Ste Némoise se célèbre le 14 février, l’ancienne date de la fête de la Purification. (Le mystère de la saint Valentin comme patron des amoureux ne s’expliquerait pas en s’en tenant à la biographie du martyr romain ; mais si l’on considère que c’est la fête des valentines, des pucelles à marier, la relation avec Némoise, vierge farouche, rend les choses compréhensibles).
On n’a pas assez souligné la fonction des saints dans une religion monothéiste plaçant Dieu dans une transcendance qui ne facilité pas ses relations avec les hommes. Il resterait sans influence sur terre s’il n’avait parmi les hommes des intermédiaires. Les Celtes lui en offraient toute une cour prête à servir.

A Marseille, dans la crypte gallo-romaine de l’église Saint Victor, sur le port qui vit débarquer les trois Marie, la fête de la Purification est le grand jour de l’année liturgique. A la fin de la célébration, chacun rapporte chez soi son cierge, comme secours pour les agonisants (suivent des commentaires sur le rôle de la couleur verte des cierges et du manteau de la Vierge). A la fin de la procession on distribue des navettes, petites pâtisseries en forme de barques rappelant la navigation des Marie. Ailleurs en France, on fait sauter des crêpes (au nord de la Loire) ou frire des bugnes (au sud). Quel rapport a ce rituel culinaire avec la fête de la Chandeleur? Il faut tenir une pièce de monnaie dans une main et faire sauter de l’autre sa crêpe le plus haut possible, pour être assuré d’avoir de l’argent toute l’année. Un autre rituel, fréquent en Touraine, mettra peut-être sur la voie d’une réponse: s’assurer qu’on a sur soi de l’argent le jour où l’on entend le coucou pour la première fois de l’année. Or le coucou, favori de Junon, est considéré comme l’annonciateur du printemps (citation d’un poème de Wordsworth).
L’écoute du chant de cet oiseau invisible s’apparente à la vue du vol des oies sauvages ou des grues, dans la logique du mythe de la sainte à
la patte d’oie ou des Mélusines d’antan. Elles sont femmes, annonciatrices d’un royaume à venir, promesses d’un renouvellement du visage de la terre.
De notre poêle nous lançons à ces anges migrateurs quelques miettes de notre fruste nourriture. Des tourterelles aux grues, en passant par les oies et les cygnes, il y a toujours un oiseau près de la vierge qui doit enfanter d’un monde nouveau.

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III. PAQUES : la Fête du Sang initiatique (pp.91-120)

Les Croisés, partis pour reconquérir les lieux saints, découvrent en Orient un autre Evangile que celui prêché par les papes et les évêques. Ils y découvrent les Rois mages, le prêtre Jean, Marie-Madeleine, Joseph d’Arimathie, une Mère de douleurs et un Crucifié. Sur le plan de la mythologie, beaucoup de choses changent à cette époque. Les Croisés redécouvrent leurs racines et plusieurs paroisses de France se donnent une nouvelle généalogie, sous la forme d’une «invention» (= découverte) ou d’un transfert de reliques.
En 1164 a lieu la translation de Milan à Cologne des reliques des Rois mages, qui seront au 14e s.(suite à l’Histoire des Trois Rois) adoptés comme ancêtres par des familles princières françaises. Les Trois Maries de la Mer arrivent en France au temps des Croisades, avec les «saints de Béthanie». Leurs légendes se tissèrent d’abord à Vézelay (lieu important dans l’organisation des Croisades), autour des reliques de Marie-Madeleine rapportées de Jérusalem au 11e s. Aux 12e et 13e s., la France se ressource auprès des témoins de la mort de Jésus, et d’abord auprès de Marie-Madeleine.

Marie-Madeleine et le tombeau videElle fut le premie
r témoin de la résurrection en ce sens qu’elle fut la première à constater le vide du tombeau, la première aussi à laquelle le «ressuscité» se manifesta: le prenant pour le jardinier, elle ne le reconnut qu’à sa voix.
Personne ne fut le témoin oculaire de la Résurrection. Aucun des quatre évangélistes n’a imaginé qu’une des personnes présentes à côté du tombeau ait pu voir, de ses yeux de chair, le Christ en sortir. Jean est le seul à raconter la rencontre de Jésus et de Madeleine. Il achève son évangile comme il l’avait commencé: par une évocation de l’Esprit. Il raconte comment le Christ ressuscité souffla sur ses disciples en disant «Recevez l’esprit saint». (Note : en grec, le souffle, l’esprit = pneuma). Et le Christ recommande à Thomas: « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu».
Heureux surtout ceux qui, comme Jean, ont vu et compris ce qu’ils voyaient et qui n’était pas visible. Ceux qui traversent l’apparence et devinent la réalité. Le tombeau vide est signe du Christ vivant, parce qu’il est vide. Le jardinier est signe du Ressuscité parce qu’il n’en a pas l’apparence. Madeleine voit, sans comprendre; elle a besoin d’une voix pour saisir le mythe sous l’événement.

Le coup de lanceUn évangile apocryphe du 4e s. raconte l’épisode du coup de lance porté par le centurion aveugle Longin, qui recouvra la vue au contact du sang du Christ. D’autres récits légendaires présentent les miracles crédités au sang du Christ comme une guérison spécifique, celle de l’aveuglement. Autrement dit, ce sont les yeux de l’âme qui s’ouvrent. «Ouvrir les yeux» est une métaphore pour «connaître».
Le sang de Jésus avait été recueilli par Joseph d’Arimathie dans une coupe, qui devint le Graal des romans arthuriens, un calice semblable à ceux où s’opère la transsubstantiation eucharistique, mais qui contenait le sang réellement versé sur la croix: la présence réelle donc du Christ au milieu des siens.
Si on replace ces romans dans leur contexte historique, celui des Croisades, de l’Inquisition (dont les racines remontent au 12e s., avec l’hérésie cathare), des massacres d’Albigeois, des pogroms de Juifs, de l’absolutisme papal, de l’imposition du célibat aux prêtres et de l’invention du purgatoire, on est effaré de la violence d’un siècle qui est généralement décrit comme celui de la chrétienté triomphante.
En isolant quelques versets des Evangiles qui racontent la crucifixion, une certaine pensée chrétienne en fit son mythe fondateur. Mystique du sang versé pour les péchés, mystique du sang. Il est vrai que le sang qui coule est fascinant, il attire les foules au pied des guillotines…


Le tailloir de l’agneau sacrifiéUn texte du 13e s. raconte que Joseph d’Arimathie ramena de Jérusalem «un Tailloir plus clair que la lune, une Lance qui saignait sans cesse et un Vase tel qu’on n’en vit jamais d’aussi beau» ; le «tailloir» renvoie au plat utilisé à la dernière Cène - une patène - pour découper l’agneau pascal.
La liturgie imaginaire du Graal s’inscrivait ainsi dans une triple mythologie: celle du sang rédempteur, celle d’une quête de la connaissance absolue, celle enfin qui réinterprétait le mythe juif du bouc émissaire sacrifié pour la purification du nouveau peuple élu.
Jésus pour mourir choisit Jérusalem où battait le cœur du judaïsme, et choisit la pâque, centre de la liturgie commémorant la délivrance de l’eclavage en Egypte, événement fondateur de l’identité juive, et événement sanglant puisque Dieu s’est livré à un massacre d’innocents. Le sang des agneaux épargne au peuple élu d’être victime de sa colère. Israël est né dans le sang égyptien. Le mot Pâques, en hébreu, signifie «passage» de la colère de Dieu en ce sens qu’elle épargne, qu’elle «passe outre» son peuple choisi.


Le calice de la dernière tentationSi aucun des évangélistes ne mentionne le «Graal» de Joseph d
’Arimathie, tous sauf Jean mentionnent le calice de souffrance que Jésus fut tenté de repousser. Très tôt la tradition orale en fit mention pour souligner l’humanité du Christ.
De quelle tentation s’agit-il ? Pas de mobiliser l’armée des anges ni d’opposer la violence à la violence. La tentation ici c’est d’accepter la fonction de Messie combattant et triomphant que les Juifs espéraient le voir remplir. Il choisit au contraire le calice de souffrance et de mort, et défie ouvertement l’autorité.

Ponce Pilate s’est-il lavé les mains ?Si ce sont les autorités du Temple qui ont condamné Jésus, c’est tout le peuple juif qu’on rend responsable de déicide (d’où l’antisémitisme chrétien). Si c’est Pilate, et par lui l’empire romain, c’est la position des chrétiens vis-à-vis de cet empire qui s’en trouve affectée.
Les Apôtres avaient laissé Jésus affronter seul Caïphe, Pilate et la mort. Aucun témoin pour en faire relation. Les récits de Marc, Mathieu et Luc sont contradictoires entre eux : impossible d’en tirer une relation historique vraisemblable. Ils s’opposent à celui de Jean, qui ne mentionne pas la comparution devant le sanhédrin. On considère souvent cet évangile comme comme le moins «historique», ou le plus «mystique». L’un n’empêche pas l’autre.

(Deleury analyse les récits de la condamnation de Jésus et conclut que si Jean, seul témoin oculaire, ne parle pas de la scène de Pilate se lavant les mains, c’est qu’elle n’eut pas lieu). Il semble bien que les événements furent le résultat d’une précipitation conjoncturelle plus que d’une préméditation. Une bavure politique, entre mille autres, qu’on aurait oubliée si à la Pentecôte les partisans du crucifié n’avaient pas réalisé qui avait été leur maître.

Sous le signe de la CroixLe symbole de la croix est paradoxal pour la foi chrétienne, basée sur la croyance en la résurrection. Un symbole de vie aurait été plus adéquat. Or les œufs de Pâques ne semblent avoir été introduits que vers le 12e s. Le mythologue un peu pressé pourrait se lancer dans une comparaison entre l’œuf de Pâques et les œufs cosmiques des Incas, des taoïstes et des Hindous. Mais si le peuple adopta l’œuf dans ses coutumes, l’Eglise ne l’admit jamais dans ses rituels, alors qu’elle fit bon accueil au feu nouveau qui lui venait d’Irlande.
Entre l’œuf et la croix il existe en effet une incompatibilité mythique. L’un représente la loi cosmique des régénérations éternelles, l’autre un événement archétypal qui ne s’est produit qu’une fois. Avec le signe de la croix, le chrétien s’inscrit dans la trajectoire irréversible du salut opéré par le Christ mourant pour racheter l’humanité.
La chrétienté o
ccidentale insista non seulement sur la valeur salvifique des souffrances du Christ mais sur celle de toute souffrance. Le chemin du ciel est un chemin de douleurs (le phénomène mystique des stigmates est spécifiquement occidental).

Le nouvel AdamPourquoi Jésus décida-t-il d’aller mourir à Jérusalem le jour de Pâques? Tout simplement parce qu’il était juif. La vie de Jésus ne devient compréhensible que dans le contexte de sa judéité. Jésus se situe par rapport à Moïse, s’appliquant le titre de prophète ; il se situe aussi dans l’histoire par rapport à Abraham, d’où étaient sortis les peuples sémites, et qui avait emporté de Mésopotamie la tradition de Babel, de Noé, d’Adam. Les Hébreux tirèrent la figure d’Adam de la glèbe fertile en mythes de la Mésopotamie. Et dans la généal
ogie qu’il tisse, Luc fait descendre Jésus d’Adam.
Mais les chrétiens se faisaient d’Adam une autre image que les Juifs et les Mésopotamiens.
Le récit biblique, si on l’écoute de la bouche des Juifs, nous introduit à une mythologie grandiose, où il n’y a pas l’idée d’un péché d’Adam. Adam est cette créature qui ne peut reproduire en elle l’image de Dieu qu’en étant pleinement elle-même, en disant non à son créateur. L’histoire humaine ne peut commencer que par une rébellion.
Pas de péché donc, mais une révolte existentielle contre Dieu. L’histoire sainte sera le récit des révoltes du peuple élu pour s’affirmer contre celui qui l’a élu.

(Suit un long commentaire – six pages – de la Genèse, d’Abraham, de Jacob, de Moïse… sur le schéma d’un «combat» et d’un «partenariat» entre Dieu-Yahvé et le peuple juif). Ce rapport entre Dieu et «son» peuple est l’interprétation que donnent les Juifs de leur histoire, de toute l’histoire depuis la création de l’humanité.
Cette histoire échappe à l’historien. On n’a jamais trouvé de trace d’Abraham ni de Moïse ; mais ils ont dû exister puisqu’ils ont animé pendant trois millénaires la foi d’un peuple - et l’imaginaire des Apôtres et des premiers chrétiens qui étaient juifs. Pour eux, Adam était aussi «historique» que le Christ, et ce dernier apparaissait comme le Messie qui avait mis fin au combat entre Dieu et son peuple. Par son sacrifice volontaire, il inaugurait une nouvelle alliance entre l’humanité entière et son créateur.

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IV. Michel Archange : la Fête de la Voix intérieure (pp.123-165)
Sans la dévotion populaire pour les saints manifestée par les chrétiens, il est probable que leur religion ne serait pas devenue celle de l’Occident. Il n’y a pas de religion sans mythologie, c.-à-d. sans enracinement dans l’inconscient collectif d’une communauté.
Des Juifs pieux avaient élaboré une mythologie qui, sans porter atteinte à la transcendance de Dieu, le rendait accessible à la dévotion. Yahvé se rapprochait des hommes en engendrant des anges. Au sommet de leur hiérarchie, l’archange Michel était l’image la plus proche du modèle divin. Les premiers chrétiens, juifs et donc monothéistes, qui se souvenaient que Jésus s’adressait à Dieu comme son père, se trouvaient devant une question redoutable pour des monothéistes: quel genre de fils Yahvé pouvait-il avoir?
La solution adoptée avait été d’assimiler le Christ à l’archange Mi-ca-ël («celui qui est comme Dieu»). Cela permettait de sauvegarder l’unicité insécable du Dieu transcendant et, comme le remarque Henry Corbin dans ses études sur l’angéologie, d’avoir un discours spéculatif sur Dieu puisque l’objet en était une image visible du Dieu invisible et que les interventions de Dieu dans le monde prenaient alors la forme de théophanies angéliques.Mais si la croyance aux anges freinait l’anthropomorphisation du divin, il était difficile d’admettre que Jésus n’aurait jamais été qu’un ange, ce qui gommait son humanité. La majorité préféra les risques de l’anthropomorphisation du divin à la sécurité d’une angélisation de Jésus.
Après le concile de Nicée (325), où fut définie la consubstantialité des relations entre le Père et le Fils, on ne pensa plus à cette identification avec l’archange mais ce dernier resta fort présent à la conscience chrétienne.

Saint Michel et Mithra

Le mythe juif de Micaël en devenant le mythe chrétien de saint Michel change de sens et colore nouvellement le paysage mythologique.
A partir du 8e s., apparaissent d’innombrables monts St Michel, lieux de pèlerinages. Le plus ancien est au nord de Milan (Mont Gargan, du nom d’un berger). Le sanctuaire aurait été bâti par les Lombards au 7e s., sur les fondations d’un édifice du 4e s. signalé par une caverne sacrée qu’une épiphanie de l’archange aurait revendiquée comme sienne grâce à l’intervention d’un taureau.
note: La tradition hagiographique situe dans la région italienne des Pouilles, Il Gargano, l’apparition sur le mont Gargano, à la fin du 5e siècle, de l’archange Michel (une localité y porte le nom de San Michele Archangelo). Plusieurs grands sanctuaires y sont depuis toujours des buts de pèlerinages; de toutes les routes, la plus ancienne est dite «Via sacra Longobardorum» (Voie sacrée des Lombards). C'est dans la même région que se trouve le village de San Giovanni Rotondo, siège de la dévotion à Padre Pio, qui attire à peu près autant de pèlerins que Lourdes (8 à 9 millions chaque année).
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L’ensemble caverne/taureau suggère clairement un site mithraïque. Le culte de Mithra (originaire de Perse), favori des légionnaires, fort répandu dans l’empire romain, était si populaire que certains auteurs pensent qu’il aurait pu y devenir dominant si le christianisme ne lui avait coupé les ailes. La naissance de Mithra se fêtait le 25 décembre, jour du solstice d’hiver et de la renaissance du Sol invictus. Or c’était dans une caverne que Mithra était né, et dans des cavernes que les initiations se déroulaient, liées aux sacrifices de taureaux. On a retrouvé en France un certain nombre de cavernes mithraïques.
La présence de la caverne et du taureau sur ce Mont Gargan italien s’explique sans doute par le nom même de cette montagne. En effet d’autres monts Gargan en Gaule sont devenus des monts Saint Michel, dont le plus célèbre est aux confins de la Bretagne et de la Normandie.

Michel au péril de la mer

Selon la Légende dorée (Jacques de Voragine), saint Michel apparut en 710, près d’Avranches, à un évêque à qui il ordonna d’édifier une église à l’endroit indiqué par un taureau, endroit que les légendes locales tenaient pour la tombe du géant Gargan. Un raz de marée eut raison de la réticence de l’évêque et une chapelle fut construite au péril de la mer. La foule de pèlerins fut telle qu’au 12e s. on construisit les fondations de la basilique.Tout lieu de pèlerinage est un lieu privilégié où le ciel et la terre se sont un jour rencontrés. H.Corbin interprète le mont Gargan italien comme un espace initiatique, mais cela ne suffit pas à expliquer l’extraordinaire diffusion du culte de l’archange Micaël dans toutes les régions de la chrétienté. Il est fascinant de constater que les routes menant au Mont St Michel suivaient dès le 9e s. les mêmes étapes que les itinéraires parcourus par le géant Gargantua.

Au royaume de Gargantua

Rabelais puisa l’histoire de Gargantua dans plusieurs ouvrages imprimés vers 1530 «dont le motif central est la chevauchée vers le Mont St Michel» (Dontenville, Dits et récits de la mythologie fçse). G.Deleury expose ici plusieurs éléments permettant de considérer que saint Michel s’insère dans la mythologie dolménique développée par les Celtes quand ils découvrirent les dolmens, les menhirs et les cromlechs dressés par des populations précédentes. Les dolmens avaient été enfouis sous des tumuli, et beaucoup de monts St Michel sont d’anciens tumuli accumulés sur des tombes (par ex. à Carnac).
S’il reste à expliquer pourquoi les années 1530 manifestent un intérêt soudain pour le personnage de Gargantua, il est sûr que les chroniqueurs ne l’ont pas inventé et qu’ils ont puisé leur histoire dans la tradition orale. L’attribution à ce géant de l’installation de mégalithes a été recensée par d’éminents ethnologues. A quand remonte-t-elle ? Ce pourrait être à la fin de la période gallo-romaine, durant laquelle les populations donnaient des appellations romanisantes à leurs divinités, en assimilant dans le désordre telle ou telle de celles-ci à l’un ou à l’autre dieu romain. Les Romains apportèrent aux Gaulois, avec la Pax romana, une certaine stabilité, mais sur le plan de la philosophie et de la religion, ils n’avaient pas grand-chose à offrir. Quand, après Constantin, il ne s’agira plus de romanisation mais de christianisation, les populations n’agirent sans doute pas autrement et leurs divinités, en prenant des noms chrétiens, ne perdirent rien de leur nature première.

Le monde d'en dessous

St Michel Archange continua donc la fonction qu’exerçait la divinité celtique précédente, l’énigmatique Gargan. Mais n’est-ce pas un anachronisme que de parler ici de divinité ?
Gargan n’était pas un dieu mais un géant, un de ces titans nés d’un croisement entre des anges et des mortelles (cf. Gen.VI,1-4). Mais pour les Celtes, les Géants étaient des hommes, que la mort avait transmutés en une race nouvelle et qui habitaient sous terre. Le site breton de Brennilis (dominé d’ailleurs par un mont St Michel) illustre cette mythologie. Brennilis peut se traduire par «Val d’enfer», où «enfer» n’a pas le sens que lui donneront les chrétiens, mais celui de monde d’en dessous, d’autre monde. Et Gargan était un Ogre qui avalait les morts pour les digérer et ainsi les purifier. On ne sait s’il pesait les âmes, mais on représente souvent saint Michel avec une balance, comme passeur d’âmes. L’enfer des Celtes était un lieu déjà «beau», dont les chrétiens feront le purgatoire. En tant que guide des morts vers les Iles Bienheureuses, Gargan avait partie liée avec la reine de ces Iles, Morgane.
En résumé : la grand-mère des Bretons, Ana, et sa fille Bélisama ont légué à Morgane les clefs du paradis celtique, que recueilleront la Vierge Marie et sa mère Anne. Gargan, lui, lègue sa mission de conducteur des âmes à saint Michel.
Un peu partout en France se retrouve le paysage trifolié unissant une Sainte Vierge, un saint Michel et un saint local. Un exemple célèbre est celui du Puy-en-Velay, dont la cathédrale (dans la crypte se trouve une pierre dolménique) est bâtie sur le mont Annis, où on révérait la Vierge-mère Ana, ou Anne, et où un évêque du lieu, Georges, qui traquait le dragon dans toute la région, construisit un sanctuaire suite à une apparition de la reine du Paradis.
En allant plus loin, on pourrait voir dans ce Georges une forme romanisée de Gargan, dédoublé en un archange pourfendeur du dragon dont la mort est généralement le signe de l’implantation de la religion sur une terre jusque-là païenne. On retrouve aussi le nom de Gargan dans celui de «saint Gorgon», en Normandie. Tous les saints Georges de la chrétienté ne seraient-ils pas des Gargan christianisés?
On notera qu’il y a quelques années, les érudits du Vatican, soucieux d’historicité, ont rayé Georges, avec quelques autres, de la liste des saints…

Jeanne d'Arc et les voix de l'Ange

G.Deleury expose (pp. 149-158) de nombreux éléments du procès de Jeanne, trop longs pour être repris dans ce résumé. Il démontre comment, dans l’impasse où s’était fourvoyée l’Eglise de Rome, s’y affrontèrent deux mythologies se voulant toutes deux chrétiennes: les juges croyaient au diable, Jeanne croyait aux saints. On y découvre à quel point un paysan du XVe s. vivait de ses mythes (mêlant les saints, les Fées, les sources «sacrées», etc).
Ce qu’il y avait de remarquable chez les paroissiens de Domrémy, c’était qu’ils trouvent naturel de rencontrer des anges et des saints du Paradis: «il était des jours et des saisons où le ciel devenait visible à la terre…».
L’auteur conclut que l’ange, c’est le moi éternel de l’homme, son identité singulière avant qu’elle soit recouverte par une éducation normalisante qui, par miracle, laissa intact l’être profond de la bergère de Domrémy.

Comment écouter son ange ?

On a découvert à Grand les vestiges d’un des plus grands thermes sacrés de l’empire romain, construits au 2e s. La divinité qu’on y consultait fut assimilée par les Romains à Apollon, mais il y jouait plus le rôle médical de son fils Asclépios (= Esculape, dont le sanctuaire était celui d’Epidaure) que celui d’un dieu solaire. On y installait les patients sur des peaux de bêtes et on les amenait à faire resurgir des profondeurs de leur moi la conscience de leur identité essentielle. E.Drewermann a fait remarquer que «2500 ans avant la découverte de la psychanalyse, les médecins d’Asclépios, à Epidaure, non encore contaminés par l’accent mis unilatéralement sur le point de vue de la conscience, comme dans le christianisme, ont reçu des mains de leur dieu le remède du traitement des rêves. Asclépios est le dieu qui guérit grâce à la lumière de l’esprit surgi des ténèbres de l’inconscient (…) lors d’un processus au terme duquel se situe la naissance de l’être véritable» (De la naissance des dieux à la naissance du Christ).
En analysant les découvertes archéologiques des thermes de Grand, Deleury aboutit à un lignage entre certains éléments iconographiques et les représentations de saint Michel terrassant le dragon. Dans la mythologie chrétienne, le dragon représente les forces obscures et sataniques des ténèbres, le paganisme terrassé par le christianisme: il y a alors passage entre le monde des ténèbres et celui de la lumière.
On pourrait se croire revenu aux grottes du Monte Gargano lombard ; mais peut-être les troupeaux de taureaux nous avaient-ils égarés sur une piste mithraïque illusoire. Ces troupeaux sont nos rêves. Les anges n’habitent pas un ciel de lumière, ils évoluent dans la lumière de notre inconscient débusqué des tanières diurnes où il se dissimule.

A l'ombre de l'arbre de mai

Les mythes survolent l’espace avec une logique implacable. En 309, Constantin s’arrêta à Grand ; la divinité, en songe, lui révéla qu’il serait victorieux; il le fut, et devint chrétien. Selon certains, sa mère Hélène était bretonne. C’est à elle qu’on doit la découverte (l’«invention» au sens latin) de la Sainte Croix à Jérusalem. Revenue en Europe, elle mourut près du mont St Michel et fut enterrée dans l’île de Tombelaine (Tombe d’Hélène).
Selon J. de Voragine, la Croix était faite du bois de l’arbre de vie planté au Paradis. La commémoration de cette «invention» est fixée au 3 mai. De même qu’on avait fait descendre le bois de la Croix de l’arbre de vie, on implanta ce dernier dans le cycle annuel des célébrations populaires en le greffant sur le rituel de l’arbre de mai. De nombreux peuples célébrèrent en mai le retour du printemps. Etait-ce le spectacle des bourgeons et des fleurs qui les motivait, ou le réveil de leurs pulsions d’amour? Le muguet du 1er mai confirmerait cette interprétation.
Le message de l’archange de mai serait-il démoniaque? Dans les profondeurs de l’inconscient, on côtoie le bon et le mauvais ange. Constantin avait-il rencontré le bon? Certes il accorda au christianisme un édit de tolérance qui lui permit de conquérir les sujets de l’empire. Mais c’était un empire militaire et Théodose en 391 décréta le christianisme religion d’Etat, interdisant les autres cultes. Ce jour-là naquit l’inquisition qui débusquera à Domrémy une bergère qui croyait tellement en saint Michel qu’elle fut assassinée par une Eglise qui y croyait tout autant. Mais ce n’était pas le même ange. Pour l’Eglise, saint Michel est devenu une idole, la divinisation de son excellence et de son infaillibilité.
Un culte de sainte Jeanne d’Arc grandit, sans attendre la canonisation par Rome (que l’Eglise offrit en 1920 à la France victorieuse et cocardière). La Pucelle était entrée de plain-pied dans le mythe, pour le meilleur et pour le pire. Pour les uns, symbole d’authenticité, de fidélité à l’ange qui parle au fond de notre être personnel, pour d’autres idole de l’idée qu’ils se font d’une France dressée sur ses ergots au péril des océans hostiles des autres peuples.
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V. La PENTECOTE: La Fête du Peuple de l’Esprit (pp. 169-205)

L’auteur de la Vie de Saint Martin (397) présente l’évêque de Tours avec les termes «globe de feu», «chevelure de flammes» pour le rapprocher des Apôtres investis par l’Esprit saint. Il admire chez lui que «dans la dépravation et la corr
uption générales (…) il ait la fermeté de ne point faire sa cour à un prince».
Depuis l’édit de tolérance de Constantin (313) jusqu’à la prise de Rome par le barbare Alaric (410), l’Eglise connut un âge d’or qui culmina avec l’édit de Théodose (391). Désormais pour être citoyen romain à part entière il fallait aussi être chrétien ; les évêques furent regardés comme les premiers fonctionnaires de l’Etat, dotés des privilèges et pouvoirs en accord avec leur charge. Il était devenu légitime d’adorer l’empereur comme une image vivante du Christ. Ce n’était pas à cette religion-là que Martin s’était converti mais à celle fondée à la Pentecôte par l’Esprit.

Le signe du feu

La mythologie chrétienne se représente l’Esprit sous la forme d’un globe incandescent, de langues de feu, ou d’une colombe ; mais il ne semble pas que la Pentecôte ait jamais été adoptée par le floklore européen (avec les œufs, les crèches, la galette des Rois, les crêpes…).
La liturgie chrétienne n’a conservé que deux grandes fêtes juives: Pâques et la Pentecôte. Le passé juif de la première fut oblitéré par le souvenir de la passion et de la résurrection; il était mythologiquement logique que le salut du genre humain soit célébré par les chrétiens le jour où les juifs commémoraient leu
r libération d’Egypte. Le cas de la Pentecôte est moins évident.
Pentecôte veut dire en grec «le cinquantième jour», c.-à-d. le lendemain d’une semaine de sabbats, à partir de Pâques. Elle est appelée dans la Bible «fête des moissons», symbolisant la fin du nomadisme d’Israël. Les exégètes des diverses communautés disséminées en Europe, où le rythme des saisons était différent, s’ingénièrent à présenter la célébration chrétienne non plus comme une fête agraire mais comme l’accomplissement définitif de l’œuvre de salut. Les Juifs de la Diaspora, face au même problème de diachronie saisonnière, en firent la fête de la révélation de la Loi à Moïse sur le Sinaï. Israël se célébrait lui-même en tant que peuple élu.
Si on assiste, entre –520 et –515, avec la (re)construction du temple de Jérusalem, à la naissance du judaïsme, sa destruction en 70 coïncidera avec la naissance du christianisme. Entre les dates de la fixation des deux traditions, le laps de temps n’est pas énorme.
La figure de Moïse domine la Bible, comme celle de Jésus domine le Nouveau Testament.On n’a guère de raisons de douter de son existence historique (vers -1250,-1200); mais si pour Jésus nous avons des témoignages écrits, on ne connaît de Moïse que son visage mythique.
On peut se livrer à des confrontations éclairantes. Ce qui se passe au Sinaï, dans l’ardeur du feu (le «buisson ardent») et le vacarme du tonnerre, c’est la naissance du peuple élu, dont les Juifs de la diaspora célébraient la commémoration à la Pentecôte. Or le récit des Actes des Apôtres répond à la grandiose mythologie du Sinaï : l’action se passe non plus sur la haute montagne mais dans la chambre haute où s’étaient réfugiés les Douze: «…un bruit comme celui d’un violent coup de vent, (…) des langues de feu …».
Comme Dieu s’était choisi un peuple, il se choisit alors pour lui succéder un cénacle (non plus un peuple). Est-ce pour cela que le peuple chrétien se sentit peu concerné par cette fête ?
L’autocélébration à laquelle se livre l’Eglise le jour de la Pentecôte ne s’est pas révélée sans risque. En s’affirmant comme le nouveau «peuple» choisi par Dieu pour remplacer l’ancien, elle se pose en rivale. Ne peut-on voir germer là les bases de l’antisémitisme chrétien ?

La vérité sur la Tour de Babel

«Hommes d’Israël, (…) Jésus le Nazaréen vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix» (Actes des Ap., II). On peut voir dans ce discours inaugural de l’Eglise les prémisses de l’accusation de déicide justifiant son antisémitisme (jusqu’à Vatican II, l’Eglise priait pour les «Juifs pervers»), mais les racines n’en seront extirpées que lorsqu’elle cessera de se regarder comme nouveau et seul «peuple élu».
Pourtant la théophanie de la Pentecöte invitait à une autre interprétation : un éclatement des frontières qui divisent le genre humain. L’Esprit y apparaît sous la forme de «langues» de feu et se manifeste par le don des «langues», un miracle de la communication et non de l’exclusion.
Les exégètes mirent l’événement en relation avec le mythe juif de la Tour de Babel, partie intégrante du paysage mythique de la préhistoire universelle de l’humanité. On en a retrouvé les ruines sur le site de Babylone, Bab-llani en akkadien (la plus ancienne langue sémitique), «Porte du dieu» en français; et le nom de la Tour signifie «maison du fondement du ciel et de de la terre». En relatant sa construction, la Bible témoigne qu’elle connaissait cette cité et les coutumes de ses habitants. C’est là qu’avait été déportée l’élite judéenne, c’est de cette région de Mésopotamie que la tradition faisait sortir Abraham. Est-ce par ressentiment pour leur captivité ou par ingratitude envers leurs origines que les Juifs affirmèrent que la Tour fut bâtie par orgueil, comme un défi à Dieu ?
L’Esprit qui descend sur les Apôtres en leur apprenant les langues s’oppose à un Yahvé fondant sur la Tour pour empêcher les hommes de communiquer…

Comme l’ont montré les archéologues, non seulement la Tour ne fut pas détruite mais des dizaines de ziggourats ont été édifiées dans toute la Mésopotamie, certaines par des Sémites au IIIe millénaire. C’étaient des chercheurs de Dieu, assoiffés d’immortalité, comme le montre l’Epopée de Gilgamesh (env.-1750), la première grande œuvre littéraire de l’humanité (traduction publiée en 1872), gravée en écriture cunéiforme et en langue akkadienne, où on trouve le premier récit du déluge, antérieur à celui de la Bible.
Un autre poème de la même époque raconte que pour remercier et célébrer Mardouk, le dieu suprême, on lui éleva une ziggourat. Une hypothèse archéologique part des temples bâtis par les Sumériens, premiers occupants de la Mésopotamie, qu’auraient imités des populations akkadiennes (c.-à-d. sémites) venues de Syrie et dont Mardouk était le dieu débonnaire. Ces tours auraient un lien avec des observations astronomiques et l’établissement de calendriers, basés sur les phases de la lune. A l’époque babylonienne, le dernier étage supportait le temple du dieu-Lune, dont le croissant s’y pose comme sur un embarcadère ; chaque divinité, à date fixée, y descendait dans le monde des hommes pour assurer l’ordre et le bonheur.
Dans Gilgamesh, le récit du déluge présente la même structure que celui de la Bible. Le bateau y était un cube de sept étages ; le coffre (sens réel du latin arca) que construira Noé en comptera trois. Yahvé noue une alliance avec lui, et de sa descendance sortiront les différents peuples du monde (Gen., X).
Le récit biblique s’efforce d’harmoniser deux documents; l’un (dit «sacerdotal») suit d’assez près le récit babylonien, l’autre (dit «yahviste») y ajoute l’épisode de la Tour de Babel; le premier présente la disparité des peuples et des langues comme bénie par Dieu, le second comme une punition de l’orgueil humain.

L’escalier de Jacob

Il n’y a pas à se scandaliser de la parenté du récit biblique avec le récit babylonien. Il s’agit moins d’un emprunt que d’un héritage. Après la chute d’Our vers –1950, le dieu-Lune s’en fut vers le nord-ouest avec des pasteurs qui transhumaient : quand donc Abraham sortit de Mésopotamie, il emportait tout un bagage de mythes qu’on retrouve dans les onze premiers chapitres de la Genèse.
Si les tablettes d’argile de Gilgamesh sont datées, il est impossible de dater les documents qui composent la Genèse; le texte final remonte à la réforme d’Esdras, vers –400. Les récits des événements de la préhistoire du peuple élu venaient de traditions orales et sont invérifiables historiquement. Le nom d’Abraham n’a été trouvé sur aucun document ; s’il est incontestable qu’il ait existé, on ne sait de lui que ce que nous en apprend son mythe (comme pour Moïse). Les diascévastes* d’Esdras (* les «confectionneurs», ceux qui organisent en rangeant, en triant) mélangent leurs sources, «sacerdotales» et «yahvistes». La diversité des langues et des nations: une bénédiction ou une malédiction? A vous de choisir, semblent-ils nous dire.

L’épisode du songe de Jacob, dans lequel s’entrelacent les documents «yahviste» et «élohiste», pourrait peut-être résoudre la question. On y assiste au passage d’une conception de Dieu à une autre. Jacob voit en rêve l’escalier d’une ziggourat, «des anges de El (Dieu) y montaient et y descendaient». Puis Yahvé (Dieu) s’adresse directement à lui pour renouveler la promesse faite à Abraham. Jacob s’éveille en tremblant, et il nomme «ce lieu redoutable» Beth-El (maison de Dieu).

El, dieu lointain et formidable, était chez les Sémites le nom divin, souvent au pluriel «Elohim». Les descendants d’Ismaël, frère d’Isaac, utiliseront le même radical pour désigner Allah. Ici El est assimilé au dieu babylonien qui se manifestait au sommet des ziggourats, dans des rapports indirects avec les humains. Yahvé au contraire se révèle directement à l’homme. Qu’il s’agisse d’une ziggourat et non d’une échelle, le contexte le prouve: c’est une «porte du ciel», bab –el, à son sommet on construit sa «maison», beth, comme sur les tours babyloniennes. La traduction erronée d’ «escalier» par «échelle» a consacré la victoire de Yahvé sur El. Le document «yahviste» recompose l’histoire du peuple élu, en montrant cette élection comme promise dès les temps d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

Le signe des langues

Une des conséquences de cette rétroactivité du mythe fut de promouvoir la langue du peuple élu comme langue de Dieu; les langues ne sont plus égales entre elles. Ce qui était un patois deviendra une des langues les plus littéraires du monde. A l’époque d’Esdras (4e s. avt J.C.) c’était devenu une langue de lettrés, les Juifs parlaient araméen et des traducteurs furent nécessaires pour accéder au livre saint. Un peu plus tard les Juifs d’Egypte le firent traduire en grec. La liturgie continua en hébreu : prêtres et rabbins devinrent les seuls à pouvoir interpréter la parole de Dieu. L’escalier de Jacob était coupé.
C’est au niveau de cette déchirure que se situe le miracle de la Pentecôte. L’Esprit sacralise d’un trait de feu toutes les langues; Dieu, laissé à lui-même, parle à chacun sa langue. Mais le miracle ne se reproduira plus… Le texte des Actes semble restreindre l’effusion de l’Esprit aux seuls Apôtres et non à l’ensemble des disciples; le privilège des «clercs» sort ainsi indemne de la tempête du cénacle. Au temps de saint Augustin (4e s.), quand le christianisme devient religion d’Etat, l’Eglise d’Occident passe au latin, tandis que l’Eglise d’Orient garde le grec. Si le latin procure à l’Europe une unité culturelle séculaire, il creuse entre l’Eglise hiérarchique et le peuple un fossé qui stérilise la chrétienté.

Les théophanies de la Pentecôte (chrétienne ou juive) ne sont pas répétitives, elles se situent hors du temps et de l’espace. Le Livre des Rois rapporte à propos d’Elie :

Et voici que Yahvé passa.
Il y eut un vent fort et puissant qui érodait
les montagnes et fracassait les rochers ;
Yahvé n’était pas dans le vent.
Après le vent il y eut un tremblement de terre ;
Yahvé n’était pas dans le tremblement de terre.
Après le tremblement de terre il y eut un feu ;
Yahvé n’était pas dans le feu.
Après le feu une brise légère se mit à bruisser ;
Elie l’entendit qui lui disait :
« Que fais-tu ici , Elie ? » (XIX, 11-13)

La chevalerie du Graal

Au Moyen Age, avec les romans arthuriens, l’imaginaire chrétien se forgea une société idéale, fidèle à sa mission originelle qui se trouvait occultée par une certaine fossilisation.
L’année de la liturgie arthurienne culmine à la Pentecôte, et non à Pâques : on adoube alors les chevaliers et les preux de la Table ronde se réunissent. C’est la fête où l’Esprit choisit et anime le petit groupe d’élus, gardiens du Graal, qui opérera la réunification d’un monde renouvelé. Une mystique chevaleresque se réenracine dans une mythologie celtique. Henry Corbin a mis en lumière l’idée que la chevalerie constitue une élite présente dans toutes les religions. Le mythe du roi Arthur s’y constitue en image inversée du mythe de Charlemagne.
Alors que les chansons de geste exalteront Charlemagne en héros d’un empire chrétien à prétention planétaire et en pourfendeur de musulmans, les romans arthuriens montrent au contraire les chevaliers chrétiens et musulmans comme compagnons d’armes dans leur combat spirituel et leur quête du Graal.

De la colombe à la Tarasque

La Pentecôte ne sera jamais vraiment adoptée par le peuple chrétien même. Mais dans certaines régions, des rituels sont célébrés à cette époque; une énorme machine bâtie à la ressemblance d’un animal y fait le tour de la commune, et un saint local y est associé.
L.Dumont a étudié la fête de la Tarasque, peut-être un symbole de la divinité préchrétienne de Tarascon. Comment expliquer qu’elle soit célébrée depuis 1452 au moins toujours le lundi de Pentecôte? Quel lien avec la descente du Saint Esprit? Ce lien pourrait être le personnage de sainte Marthe, arrivée miraculeusement en Provence et dont le culte à Tarascon date de 1187, date qui nous renvoie en pleine période arthurienne, au retour des croisés de Palestine.
Des chevaliers au cœur pur dans le roman, des saints dans le mythe populaire, travaillent à la croissance spirituelle de l’homme. Et c’est ainsi que le bon peuple de Tarascon fut caressé par une petite langue de feu, que lui apporta une palestinienne de rêve…

******VI. PIERRE ET PAUL: Les Fêtes des Pères fondateurs (pp.209-230)

Urbain IV, en 1254, instituait la Fête-Dieu (strictement: fête du Très Saint Corps du Christ) car une vision de Julienne de Cornillon, dont il avait été le confesseur, révélait qu’il manquait une fête à l’année liturgique… Une autre religieuse, Marie Alacoque, ayant vu en songe le Sacré Cœur sanglant et entouré de flammes, Pie IX en institua la fête en 1856.
La première voulait contrer le doute quant à la Présence réelle dans le pain eucharistique; les dominicains s’en firent les promoteurs. Par la seconde on espérait contrecarrer l’esprit des Lumières, une lutte dont les jésuites furent les champions.
Les fondateurs de ces ordres, saint Ignace de Loyola et saint Dominique, sont fêtés à quelques jours de distance. La fondation fonctionne comme un mythe. Pierre et Paul, Constantin, Charlemagne sont en quelque sorte des mythes fondateurs ou refondateurs de la foi.
Le mythe de PierreVers 450, fut élevée sur les thermes de Trajan à Rome une basilique dédiée à Saint Pierre-aux-Liens par l’impératrice Eudoxie (fille de l’empereur Théodose) qui avait rapporté de Jérusalem les chaînes de Pierre. Le pape institua le 1er août une fête dédiée à saint Pierre pour remplacer les célébrations de ce jour en l’honneur de l’empereur Auguste. Et le mythe de l’un s’enrichit des splendeurs du mythe de l’autre, prêtant à la fonction papale un caractère quasi impérial, dont se serait sans doute bien passé le Pierre pêcheur de Galilée.
Les évangiles et les Actes des Apôtres montrent un personnage qui sans être stupide n’était pas un intellectuel, un meneur d’hommes fruste et mal dégrossi, ayant quelque problème avec le clan des frères de Jésus, tremblant de peur et reniant son maître lors de son arrestation.
Après la Pentecôte, il se rapproche un peu de son mythe et révèle ses qualités de chef. Alors que peu à peu naît un principe de hiérarchie entre Juifs hellénisés et Juifs araméens, des différences d’opinions deviennent querelle ouverte quand Paul s’en mêle, querelle sur laquelle les Actes passent rapidement (Paul en parle dans l’épître aux Galates).
On ne saurait rien de plus sur ce Pierre, indécis, un peu hypocrite, un homme simple et non un seigneur, si on s’en tenait aux documents officiels de l’Eglise, lesquels ne mentionnent pas la venue de Pierre à Rome. Les ossements découverts dans un sarcophage sont-ils d’ailleurs les siens, ou celui d’un Romain inconnu? Quand au 4es. on rassembla ce squelette, on en trouva deux, dit-on. On les aurait triés, les grands os à Paul, l’athlète de la parole, les petits à Pierre le modeste pêcheur, ou bien pesés et divisés en deux parts de poids égal!
Mais la tradition orale voit en Pierre sinon le fondateur du moins l’Apôtre qui donna au siège de Rome sa prééminence.
Les Actes de Pierre (apocryphes très populaires dès le 2e s.) racontent son séjour à Rome et voient en lui un grand thaumaturge (parmi ses miracles: celui du hareng ressuscité, celui de sa fille très belle devenant hémiplégique «sur commande» pour échapper à certaines concupiscences), qui aurait été condamné à la crucifixion par un préfet de Néron.

Ce n’est pas ce Pierre-là qui fournit la matière du mythe de nos évêques, ni le pêcheur des Evangiles, ni le chef éphémère de la communauté de Jérusalem. Le mythe de Pierre comme fondateur de l’Eglise catholique romaine se greffa sans doute sur un autre plus ancien.
Un mythe peut en cacher un autreLe 1er août se célébrait dans tout l’empire romain le culte de l’empereur. Peut-être Auguste inaugura-t-il lui-même cette fête quand il fit de Lyon une ville romaine, en – 12. Or là se célébrait le 1er août l’une des grandes fêtes du calendrier celte: le lugnasad, en l’honneur du dieu Lug (Lug-dunum, Lyon, entre autres toponymes), cité par César comme le plus honoré chez les Gaulois. Tout porte à croire que c’était le type du héros civilisateur, du dieu fondateur. En se «mariant» à Lyon avec la société gauloise, Auguste démontra son génie politique ; car la fête celtique était cela, un mariage, celui du roi avec la déesse qui représentait la société d’un territoire (cf. certains rites irlandais).
En –12 précisément Auguste s’était fait conférer le titre de souverain pontife (
pontifex maximus) et de père de la patrie, réunissant en lui tous les pouvoirs, militaires, civils, religieux. Il y ajoutait la sacralité de la déesse lyonnaise. Une des conséquences majeures sera le mythe de Rome comme centre de toute autorité civile et religieuse.
Ce mythe devint opérationnel dès la reconnaissance du christianisme comme religion d’Etat par Théodose en 391; le pape Sirice (384-399) écrivait: «L’Apôtre Pierre en personne se survit dans l’évêque de Rome». Au début du 5e s ., le mythe de Pierre prince des Apôtres et juge suprême de la foi, est revendiqué par les évêques de Rome.
Le mythe du second pilierPierre et Paul sont intimement mélangés par la tradition orale dans la fondation de l’Eglise. Des textes liturgiques les rapprochent, "nouveau Moïse" et "nouvel Aaron" Sous leur l’association pourrait aussi se lire la typologie romaine de Rémus/Romulus, ou l’association, fondamentale pour G.Dumézil, de Romulus et Numa.
Cette relecture de l’histoire en termes de mythes permet de rendre compte de certains paradoxes. Ainsi, parmi des textes apocryphes très populaires au 2e s., les Actes de Paul racontent son séjour à Rome et son martyre, sans mentionnner celui de Pierre; les Actes de Pierre ne signalent aucunement la présence de Paul; or selon la tradition, ils auraient été martyrisés ensemble et leurs ossements réunis dans une même vénération.
La lecture mythique des textes mêmes du Nouveau Testament contraint à remettre de l’ordre dans la chronologie. Les Evangiles ne sont pas premiers: il faut lire d’abord les lettres de Paul, elles sont le premier évangile qui fut prêché à Rome. Paul n’avait pas en mains les textes que nous appelons évangiles, il avait connu une révélation personnelle qu’il assimilait à celle reçue par ceux à qui était «apparu» le Christ ressuscité. Au début le christianisme n’était pas une religion du livre, il a dû se transmettre de communauté à communauté comme un message oral d’ardente conviction. Mais la parole étant incontrôlable, certains farfelus pouvaient prêcher n’importe quoi. C’est ce qui dut pousser les chrétiens à relier leurs évangiles.
Or, si toute la tradition évangélique de Rome venait de l’enseignement de Paul – qui n’avait matériellement ni vu ni entendu Jésus -, ne risquait-elle pas d’être considérée par les autres Eglises comme sujette à caution? Quelle preuve en donner? On sentit peut-être alors le besoin de donner à l’Eglise un autre fondateur à l’autorité incontestable, Pierre.

«Que l’un ou l’autre ne soit jamais venu à Rome m’importe peu, conclut Deleury. La vérité de mon histoire, c’est la réalité des mythes qui ont informé son identité. Pierre et Paul sont les deux piliers qui soutiennent l’édifice de mon Eglise. Pierre parade, se revêt des défroques altières de l’empereur romain, se couronne de la tiare du pouvoir absolu, se prétend le vicaire de Dieu. Mais la voûte de (sa) basilique s’effondrerait s’il n’y avait le second pilier, sans doute l’ancienne colonne maîtresse (…) toujours tendue vers l’Esprit».

Un vieil adage veut que quand Pierre a parlé, la cause est entendue. Sans doute, mais nous aimerions aussi avoir l’avis de Paul…

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VII.
La TOUSSAINT: la Fête des Morts-Vivants (pp.233-262)

Au premier siècle de l’ère chrétienne, la situation des âmes après la mort ne soulevait pas de question: tous croyaient la fin du monde imminente. Mais elle ne vint pas. Les année et les siècles passant, les chrétiens cherchèrent des réponses, qui ne se trouvaient pas dans les Ecritures, à la question: tous ces morts, bons ou mauvais chrétiens, où s’accumulaient-ils en attendant le Jour du Seigneur?
Entre le paradis et l’enferLa parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, chez Luc, laisse entendre que Jésus croyait en une double destination des hommes après la mort. Quant aux termes «Venez les bénis de mon Père…, (…) Allez loin de moi, maudits…» rapportés par le seul Matthieu, un examen comparatif des autres textes évangéliques peut permettre de douter qu’elles aient été prononcées telles quelles. Mais il est sûr que Jésus parla d’un enfer de feu éternel à ses disciples. Ses paroles fournissent une maigre récolte sur laquelle la tradition bâtira un important édifice; le désir du paradis animera les martyrs, la crainte de l’enfer sauvegardera la moralité. Les premiers théologiens en firent le lieu de spéculations rationalisantes, alors que le peuple laissait courir son imagination, s’adonnant avec enthousiasme à l’exploration du paradis et de l’enfer, comme en témoignent les évangiles apocryphes.
Une vaste littérature populaire constitua aux 3e et 4e s. la vraie source de la piété chrétienne.

La tradition pharaonique était présente dans l’empire romain à l’époque hellénistique, sous la forme du culte d’Isis et de Sérapis (autre appellation d’Osiris), un des cultes les plus populaires parmi les religions des mystères. Et nous avons signalé que la chrétienté copte d’Egypte est à l’origine des célébrations de l’Epiphanie. Les considérations sur l’au-delà s’enrichirent sans doute des perspectives ouvertes par les cultes égyptiens.
Selon M.Eliade, «l’Invention d’Osiris avait lieu du 29 octobre au 1er novembre ; à trois jours de lamentations et de pantomimes figurant la recherche d’Osiris démembré succédait la joie à l’annonce que le corps du dieu était retrouvé et réanimé». Ce mythe était considéré comme paradigmatique de la destinée après leur mort des initiés aux mystères.
Le Livre des Morts égyptien (env. 15e s. avt J.C.) annonce le texte de Matthieu relatif au Jugement dernier: «j’ai nourri l’affamé, vêtu celui qui était nu…».
Si l’Evangile promet aux damnés le «feu éternel préparé pour le Diable et ses anges», selon la Bible juive les âmes des défunts descendent vers le shéol, lieu de ténèbres où les morts retournent à la poussière dont ils ont été façonnés, au magma cosmique des commencements. «Tu n’es que poussière et tu retourneras à la poussière» s’inscrit dans la mythologie juive que l’on ne trouve pas dans l’Evangile.
Les judéo-chrétientés d’Egypte et de Palestine ont aussi dû connaître le Livre d’Enoch, dont on a retrouvé des fragments. La Genèse, qui lui attribue une vie de 365 jours (une année solaire), dit qu’il ne connut pas la mort, car «Dieu l’enleva». Commença alors sa navigation vers l’île occidentale où se dresse la montagne du royaume des morts; il voit les cavernes où séjournent les âmes et un fleuve de feu vers le gouffre du feu éternel qui attend les damnés.
Cette navigation, peut-être inspirée d’éléments venant de Gilgamesh, s’inscrit plus probablement dans la tradition celto-indienne de l’itinéraire solaire des âmes des morts.
Pour les indous, une voie, celle du feu de l’ascèse, permettait aux âmes de monter directement vers les dieux, un chemin sans retour les conduisait à l’absolu (brahman); une autre était la répétition des cycles de naissance (samsara) qui débouche en fin de parcours sur la première. Autrement dit, selon une interprétation chrétienne, d’un côté la voie vers le paradis pour quelques-uns, de l’autre l’enfer des renaissances, une voie longue mais pas éternelle.
Les Gaulois croyaient-ils aux renaissances? Sans doute pas. Mais ils étaient convaincus que certains pouvaient conquérir l’immortalité, par-delà la mort. Il faut manier avec prudence la comparaison entre croyances celtes et indiennes, sinon on se condamne à des anachronismes trompeurs. La théorie des renaissances ne pénètre l’imaginaire indou qu’après le 7e s., devenant alors la base commune des écoles de spiritualité. Selon la légende, Pythagore l’aurait cueillie en Inde, mais les auteurs latins assimilant les croyances des druides à celles de Pythagore cèdent à un diachronisme dont il faut se garder.
Les Gaulois ne croyaient pas aux renaissances mais à l’unité substantielle du cosmos qui permet toutes les métamorphoses, et l’une de leurs célébrations principales était celle de leurs héros transmutés.
La nuit des titans«La principale fête des Celtes est celle du 1er novembre: Samain, Samhuin en irlandais, ce qui correspond au terme gaulois samonios, (…) signifie étymologiquement la fin de l’été, autrement dit le début de l’hiver. C’est le premier jour de l’année nouvelle, ou la première nuit car les Celtes comptent par nuits.» (J.Markale, Le Druidisme)
Les célébrations gauloises ne nous sont pas connues, à l’inverse de celles d’Irlande; c’est à travers le christianisme irlandais que des traditions celtiques ont été assimilées par le christianisme occidental. Cette fête de nouvel an, de renouvellement du cosmos, était une fête nationale, occasion de grands banquets et organisée autour d’un rituel de mise à mort. Tout se passait au sommet d’un tertre artificiel élévé au cours des âges sur un tumulus bâti aux temps mégalithiques par des populations antérieures et qui cachait des labyrinthes où vivaient les princes d’antan ; ces palais funéraires s’ouvraient alors et les héros morts pour leur peuple venaient demander des comptes à leurs successeurs. On a vu les Gaulois faire de ces tertres les demeures souterraines de leur dieu Gargan (cf. chapitre sur Michel Archange). La butte de New-Grange en Irlande conserve le souvenir du dieu Dagda, l’homologue de Gargan, le géant souverain du peuple des titans, que les latins assimilèrent à Pluton, le roi des enfers, et que César (
De Bello Gallico,VI,18) identifia à un Dis Pater, ancêtre divin des peuples celtes.

Samain était ainsi un moment de communication avec l’autre monde. Les Celtes croyaient à un au-delà que les morts-vivants des tertres atteignaient au terme d’une navigation vers les îles Bienheureuses, les Avallons où fut transporté le roi Arthur. Le christianisme celte conservera ces convictions et réussira à faire adopter aux Eglises occidentales la célébration du 1er novembre.
Le purgatoire de saint PatrickLa légende raconte que saint Patrick, le «père de l’Irlande chrétienne», livra la nuit du 1er novembre un dramatique combat à la divinité d’un de ces tertres. Selon un ouvrage anglais intitulé Le Purgatoire de saint Patrick, qui connut un vif succès au 12e s., il aurait eu une vision de ce qui allait devenir le « purgatoire », dont l’existence ne fut formulée en dogme par l’Eglise catholique romaine qu’en 1254; les églises grecques refusèrent d’avaliser l’innovation romaine et ce dogme alourdit le contentieux qui allait séparer les Eglises d’Occident et d’Orient.
C’était le temps où les auteurs de manuels pour prédicateurs collectionnaient les «exemples», les témoignages du style «Le purgatoire existe, Un tel l’a traversé». Les sculpteurs des cathédrales prirent par ailleurs un évident plaisir à montrer enfer et purgatoire peuplés d’évêques, de rois, de papes: on payait dans l’au-delà les crimes commis avec impunité grâce à son rang durant la vie.
Mais si les âmes du purgatoire ont multiplié les «apparitions» dans les visions de leurs proches, elles n’avaient pas attendu cela pour se manifester, surtout dans les milieux celtes. Ce ne fut pas seulement pour inspirer la peur au bon peuple que le clergé adopta la croyance au purgatoire. Il y avait dans la conscience de tous, du moins en Occident, la conviction d’une convivialité entre les vivants et leurs morts.
La chasse HallequinLa christianisation des Celtes les entraîna dans un processus de culpabilisation des consciences. L’au-delà devint l’enfer ou le purgatoire; la navigation initiatique vers les Iles Bienheureuses se mua en douloureuse traversée d’un paysage peuplé de diables. Les célébrations de Samain devinrent des danses macabres, et le départ des morts-vivants vers leur Avallon est ressenti comme une fuite éperdue devant la meute d’un chasseur sauvage.
Cette chasse reçut différents noms. Le cortège d’âmes captives entraînées par le démon est souvent mentionné comme la «mesnie Hellequin», mesnie signifiant ménage, famille, cortège. Le mot s’est ajouté pour éclairer «Hellequin» dont le sens primitif n’était plus compris: il vient du germanique «helle» enfer, et «kin» parenté; cela a donné en français, à travers la commedia dell’arte, Arlequin et en anglais Halloween.
Les chrétientés anglo-saxonnes, particulièrement aux Etats-Unis, ont conservé avec le nom Halloween (et la citrouille creusée pour imiter une tête de mort) des traces de rituels sacrificiels. En Bretagne, il faut éviter de se promener la nuit de la Toussaint pour ne pas se trouver sur le chemin du char de la Mort; cette nuit-là les diables et les korrigans déferlent parmi les hommes pour y ramasser leur butin.
L’institution de la ToussaintLa fête des morts du 2 novembre plonge ses racines dans un passé celte, préchrétien. Quant à la Toussaint du 1er novembre, il semble que cette fête ait été un complément voire un contrepoids de l’autorité centrale à la pression quelque peu anarchique des populations celtes.
Selon Jacques de Voragine, tout aurait commencé avec la volonté du pape, en 605, de réutiliser le Panthéon construit par la Rome impériale pour affirmer la suprématie des divinités romaines. On reconsacra l’édifice en l’honneur de la Vierge Marie et de tous les martyrs; la fête fut ensuite transférée au 1er novembre et dédiée non plus à tous les martyrs mais à tous les saints.
Au 11e s. la simple fête d’une dédicace d’église fut étendue à toute la chrétienté par Grégoire VII, le pape qui donna à l’Eglise romaine ses institutions centralisatrices.
Les dominicains, dès le 13e s., se firent les champions de cette centralisation; parmi eux, l’auteur de
La Légende dorée entreprit d’expliquer qu’un ange, lors d’une vision, aurait enjoint au «coutre (sacristain)» de Saint-Pierre de demander au pape «qu’après la fête de tous les saints il établît le jour des âmes, de manière que l’on adressât des supplications générales en faveur de ceux qui ne pouvaient en avoir de particulières».
Lire
La Légende de J.de Voragine avec des yeux historicisants ou se gausser de sa crédulité, c’est s’interdire toute compréhension de ce qui en fait la valeur, son intuition mythologique.
La lecture ici doit être en quelque sorte rétroactive: l’après est l’origine de l’avant. Chronologiquement la «fête des âmes» avait précédé de plusieurs siècles la Toussaint; mythologiquement, c’est la seconde qui rend compte de la nature de la première. L’affirmation par la papauté de la communion des saints ("tous les saints" du paradis prient pour "toutes les âmes" du purgatoire) visait à introduire dans la conscience chrétienne la conviction que les saints continuaient à s’occuper des vivants. Cela, le peuple l’avait en quelque sorte expérimenté bien avant que les clercs n’en découvrent la raison théologique…

*****

VIII.
NOEL: la Fête du Nouvel Age (pp.265 à 292)

Il est probable que Jésus (le «nazaréen», le «galiléen») est né à Nazareth; cela ne cadrait pas avec les prophéties annonçant que le Messie naîtrait à Bethléem, et qu’il serait de la race de David. Pour résoudre un problème contredisant la croyance des premiers chrétiens qu’il était le Messie, Mathieu et Luc le font naître à Bethléem, et lui composent une illustre généalogie; celle, ascendante, proposée par Luc diverge de celle, descendante, de Mathieu. On admet généralement que ces prologues furent ajoutés plus tard aux Evangiles mêmes.

(pp.268 à 280 : omises dans ce résumé)
La renaissance du Soleil invincible

Le premier schéma de la mise par écrit des traditions concernant la vie de Jésus allait du baptême par Jean à la Résurrection. Les récits dits de l’enfance vinrent par après.
La première fête commémorant l’épisode du baptême, appelée par les Grecs Théophanie, fut fixée au 6 janvier. Les Eglises latines, après quelques tâtonnements, célébrèrent la naissance de Jésus le 25 décembre. L’opinion des historiens est que cette date fut choisie parce qu’à Rome il y avait déjà ce jour-là la fête du
Sol invictus en rapport avec le solstice d’hiver, mais la fête était surtout consacrée à la naissance de Mithra, divinité solaire perse, et à la personne de l’empereur considéré depuis le règne d’Aurélien (275) comme un dieu incarné. Après la conversion de l’empire romain au christianisme on célébra à cette date la naissance de la «Lumière du monde». En 425 Théodose en codifia les cérémonies; en 506 elle devint une fête d’obligation. 


(Note. Voici quelques dates supplémentaires - trouvées ailleurs que chez G.Deleury:
Le Sol Invictus, le dieu Soleil El Gabal, avait été importé de Syrie par Héliogabal en 218. Aurélien instaura son culte en 270 et consacra son temple le 25 décembre 274. C'est en 350 que Jules Ier choisit le 25 décembre comme Nativité de Jésus, établissant un lien entre ce dernier et le Soleil. Lien encore attesté par le nom anglais Sunday pour le Jour du Seigneur, dérivé du Dies Solis établi par Constantin comme jour de repos romain - quant au français Dimanche il dérive de Dies dominicus, *diominicu.  Benoît XVI rappelle dans une interview "Lumière du Monde" que les premiers chrétiens priaient tournés vers l'Orient, vers le Soleil qui se lève.)


 La pratique romaine gagna progressivement toutes les provinces (de siècle en siècle l’Irlande, l’Angleterre, l’Allemagne, les pays scandinaves, la Hongrie). Noël était devenu au 12e s. la plus grande fête et la plus populaire, et la créativité mythologique des peuples chrétiens de l’Occident s’exerça à plein.

C’est à minuit que le peuple élu était né du sang des Egyptiens: c’est à minuit que sera constitué le nouveau peuple élu. En 440, le pape célébra à minuit une messe dans une petite chapelle qu’il avait fait construire comme une grotte. En effet Hélène, envoyée par son fils Constantin en Palestine, y avait visité Bethléem où la tradition avait peuplé le site présumé de la naissance de traces de l’événement. On montra à la reine le lieu de la Nativité, une grotte dont le premier occupant divin avait été aux temps babyloniens le jeune dieu Tammouz (ancêtre de Gilgamesh); elle y fit bâtir un sanctuaire.
Le symbole de la grotte parut d’autant plus adapté que c’était aussi d’une grotte qu’était sorti Mithra, dans le sang des taureaux sacrifiés. Sixte III célébra donc la première messe de minuit dans sa petite chapelle, en un acte de dévotion personnelle ; au matin il officiait à Saint-Pierre pour la messe pontificale; puis une troisième messe, insérée entre celle de minuit et celle du jour, fut célébrée dans la chapelle des Grecs. Charlemagne imposa la pratique des trois messes dans tout son empire, si bien que la coutume se créa de ne pas dormir pendant «la sainte nuit».

La mythologie s’enrichit des traditions nationales. Le 24 décembre les Grecs, nombreux à Rome, fêtaient Adam et Eve considérés comme des saints. Leur histoire était jouée au cours des «mystères» pendant la veillée, et la naissance de l’Enfant Jésus apparut comme l’aboutissement de la création de l’humanité. Dans les pays germaniques, un sapin chargé de pommes rouges figurait l’arbre de la tentation, prototype pour certains des arbres de Noël. La symbolique du pin et du sapin remonte plus haut: à Rome, avant les temps chrétiens, le pin représentait le jeune dieu Attis au cours des fêtes de Cybèle en mars. Il était abattu et apporté au temple, emmailloté de bandelettes comme un cadavre, bandelettes qu’on enlevait ensuite pour célébrer le dieu ressuscité. Mais il n’y a aucune trace archéologique d’un pin ou d’un sapin dans les représentations de la Nativité avant le 15e s.
Le sapin givré et orné de bougies oriente plutôt vers une origine scandinave ou germanique. Les fêtes du solstice d’hiver étaient chez les Nordiques l’occasion de beuveries, et on illuminait le sapin cosmique, symbole de la vie renaissante. Le personnage central de cette mythologie était le dieu Odhinn, vieillard à la barbe abondante vêtu d’une houppelande rouge. Dieu du feu domestique, luttant contre les démons du froid, vénéré devant les âtres, il visitait son royaume sur un char traîné par des rennes ou des cygnes et transportait dans sa hotte les dons destinés à qui le priait. C’est à l’évidence l’ancêtre du «Père Noël». Les clercs s’efforcèrent de le neutraliser en l’assimilant à un obscur évêque d’Asie Mineure, Nicolas, nommé aussi Santa Claus, qui serait mort en 324. Mais l’intuition mythologique populaire ne laissa pas assassiner le Père Noël.

C’est à ces enrichissements populaires que l’on doit en partie de continuer à célébrer la Nativité. Il ne faudrait pas y voir des éléments accessoires: l’imagination populaire a complété de façon vivante la présentation de Luc, très limitée.
 


Et le Verbe se fit chair…

(Deleury oppose ici à la lecture de J.-C.Barreau, auteur d’une
Biographie de Jésus celle d’E.Drewermann. Le premier ne comprendrait pas ce qu’est une « invention mythologique » et en trouverait une seule dans les Evangiles, celle de la virginité de Marie: si Joseph n’est pas le père de Jésus, celui-ci n’a qu’un seul père, celui des Cieux.
Le mérite du second, face aux interprétations théologiques, serait de se situer dans un questionnement différent pour redonner leur fonction thérapeutique aux textes évangéliques, composés pour libérer l’homme de sa détresse.)

Marc, qui ne propose pas de récit de l’enfance, donne dès la première phrase la même indication de lecture: «Commencement de la Bonne Nouvelle…»; il s’agit d’une information qui concerne le bonheur de l’homme. Quand Jean dit que «… le Verbe était Dieu… A ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu», il vise à nous permettre de le devenir en voyant en Jésus «le Verbe qui s’est fait chair». C’est ce que veulent également faire comprendre Mathieu et Luc, sous une présentation plus mythologique, en racontant la naissance «par l’opération du Saint Esprit».
 


Entre le bœuf et l’âne gris

Le motif de la crèche connaîtra une fortune extraordinaire. Seul Luc le mentionne, mettant en images émouvantes ce que Jean exprime en une langue mystérieuse: «la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas reçue». Dieu se fait homme, mais il en est réduit à trouver refuge chez les animaux, car les hommes n’ont pas de place pour lui.
Le bœuf et l’âne apparaissent dans un texte apocryphe du 6e s.: «…la sensibilité de l’imagination populaire complète avec un flair infaillible, dans ses représentations de la crèche et ses chants de Noël, ce moment qui fait défaut au récit lucanien, la proximité avec les animaux». Dans cette optique, la naissance de Jésus est vue aussi comme un retour vers l’harmonie originelle entre hommes et bêtes.
En fixant Noël au solstice d’hiver, l’intégrant ainsi au rythme solaire, l’Eglise de Rome s’orientait vers une interprétation cosmique. L’Enfant est valorisé, sans référence au Crucifié: ce n’est plus d’abord le sacrifice de la croix qui rachète l’humanité, c’est la naissance de Dieu dans la chair d’un enfant d’homme qui transforme le courant de l’histoire.
D’un enfant gracile et nu - mon Dieu sombre prit le visage… -Habitant en Paradis, il demeure aussi parmi les siens (chant de Toukârâm au dieu Krishna)L’année zéro d’un nouvel âge

L’inclusion du bœuf et de l’âne dans le motif de la crèche est contemporaine de la décision de fixer l’année zéro de l’ère chrétienne à la date présumée de la naissance de Jésus, date adoptée en 532 d’après les computations de Denys le Petit. L’Eglise qui jusque là utilisait le calendrier en usage dans l’empire décida que l’an 754 de Rome serait l’an 1 de la nouvelle ère. Ce nouveau calendrier n’est sans doute pas sans relation avec l’établissement à Rome de la dynastie ostrogothe fondée par Théodoric (mort en 526). L’Eglise voulut se libérer de son histoire latine pour se doter d’une histoire plus universelle. Mais c’est avec la naissance de Jésus, non avec sa crucifixion ou sa résurrection, qu’elle identifia le basculement de l’histoire.
La présence du bœuf et de l’âne près de l’Enfant manifesta le caractère cosmique de l’événement. Et à mesure que la fête solsticiale chrétienne s’imposait à des peuples nouveaux, elle s’enrichissait des symboles de leurs diverses traditions.


Emmanuel, l’Enfant divin, est toujours à naître dans la grotte enténébrée de nos cœurs. Noël est la fête de l’enfance de l’humanité, de l’enfance du monde et de l’enfance du monde à venir.
Nous autres Nicodèmes passons notre vie à questionner: «Comment un homme peut-il naître à nouveau, une fois qu’il est vieux ?». Il le peut, s’il sait faire de ses jours et de ses nuits un perpétuel Noël.

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